A propos du concert de Limans.

Trio Safran.JPG

Des “notes” savantes sur les “notes” des musiciens du trio Safran :

Si le quatuor à cordes paraît être la forme suprême de l’expression musicale en musique de chambre au point d’imprimer chez beaucoup de compositeurs une sorte de crainte à s’engager dans les pas légendaires des Haydn, Mozart , Beethoven ou Schubert, le trio à cordes permet, lui aussi une approche harmonieuse de la musique avec ses traditionnels instruments (violon, alto, violoncelle) qui offrent une palette riche et large susceptible de combler notre attente même sans atteindre la plénitude totale du quatuor.


Le Trio n°1 en mi bémol majeur de BEETHOVEN est une œuvre de jeunesse. Il a été commencé en 1792 et achevé en 1796. Beethoven est jeune, il a 22 ans et arrive à Vienne pour prendre des leçons auprès de Haydn dont il va tirer profit tout en s’affirmant très consciemment différent. Si Mozart, tout au long de sa vie, se posait la question : « Qui suis-je ? », Beethoven, lui, d’emblée, affirme fièrement : « Me voici, c’est moi » ! Il publie donc ses premiers trios sans en informer ses maîtres, passant au-delà de leur enseignement avec une expression qui lui est très personnelle.

Six parties se succèdent dans cette œuvre développée, mélodieuse et insouciante. On sent l’influence de Mozart mais c’est déjà du vrai Beethoven.


Karim HADDAD est né en 1962 à Beyrouth au Liban Après avoir étudié au Conservatoire de Beyrouth, fermé en 1975 pour cause de guerre civile, il va suivre des cours de littérature et de philosophie. Il rejoint ensuite le Conservatoire Supérieur de Paris où il travaille la composition. À l’IRCAM il se familiarise avec l’outil informatique et y poursuit sa carrière comme chercheur, expert en composition assistée par ordinateur, dans l’équipe de « Représentation musicale ».

Une des particularités de sa musique réside en sa lenteur. Au-delà d’une apparence intellectuelle, sa musique est pleine de sa poésie et douceur naturelles. Il effectue un travail très poussé sur les micro-intervalles (quarts de tons et autres...). Amoureux de la poésie et de la philosophie Karim Haddad reste un homme qui doute.

L’œuvre que nous entendons ce soir : « And I have tried to keep them from falling » (Et j’ai tenté d’empêcher leur chute) est une lente et très belle méditation profonde dans laquelle on peut se laisser entraîner. Le titre est une citation de la dernière strophe du CantosXIII du poète américain Ezra Pound.


En 1788 quand Mozart écrit ce Divertimento en mi bémol majeur à la demande de son ami en maçonnerie Michael Puchberg qui l’a souvent aidé, il se trouve dans une situation difficile. Après le triomphe de son Don Juan à Prague, l’accueil à Vienne est très réservé et décourageant. Mozart se sent incompris, rejeté. On le considère comme un homme sur le déclin, un ancien enfant prodige qui n’a plus rien à dire. La misère s’installe, les dettes s’accumulent, détresse matérielle et morale contre laquelle il essaye de se battre en vain.

Et pourtant cette œuvre est magnifique : au-delà des angoisses, en six mouvements la pièce est brillante, profonde, avec des nouveautés audacieuses où se partagent le drame, la paix, l’innovation, le charme, la grâce... De quoi rêver !


Jean-François Queyras

Christian Clouet